Portrait de François de Rugy
pour novo-ideo.fr
de Rugy : « Je veux rendre notre Etat plus agile »
La Constitution affirme que la « République française est décentralisée ». Pour autant, force est de constater que l’organisation administrative privilégie la centralité. De même, plus de 30 ans après les lois Defferre, notre pays ne semble avoir pris conscience de ses diversités territoriales. Il est figé dans une vision monolithique de l’action, la plupart des décideurs qu’ils soient politiques ou administratifs résident à Paris. Leur vision des altérités territoriales reste marginale. Elle contraint les marges de manœuvre déjà réduites par l’économie des ressources. Pourtant, la montée en puissance de l’extrême droite et du ras-le-bol « anti-système » devraient conduire au décloisonnement total des leviers de l’action publique. François de RUGY, député écologiste et candidat à la primaire de la gauche et des écologistes, exprime dans cet entretien pour NOVO IDEO sa vision d’un Etat moins omnipotent et plus efficace.
Alors que le discours politique semble discrédité par un procès fait en inaction, comment retrouver de l’action publique au temps de la rareté budgétaire…
Les cadres politiques se focalisent à tort sur les différences de projets portant sur un demi point de déficit public, en plus ou en moins. Or, là n’est pas l’essence des maux français. Nos concitoyens ont en réalité une perception très fine du défaut d’action politique et nous le disent sur le terrain : « de toute façon, ce n’est pas vous qui décidez ». On doit reprendre la main sur tout ce qui relève de l’action publique.
Or, la conception de l’action administrative française repose sur une division normative des tâches. Elle s’appuie schématiquement sur une distinction entre l’Etat qui supporte seul le pouvoir régalien et les collectivités ce qui n’en relève pas. Elle porte en elle les germes de sa propre balkanisation. A l’heure des défis globaux, climatiques et sécuritaires, il convient de remplacer nos modes d’action administrative en silo.
Par quel biais …
Par une approche territoriale. A cette fin, je propose d’expérimenter des Groupes d’intervention territorialisée (GIT). A l’image des GIR, groupements d’intervention pluridisciplinaire, il s’agit d’avoir un traitement complet des problématiques. En l’espèce, les GIT regrouperont les services de l’Etat et des collectivités. Ces dernières mettront ainsi à disposition de l’Etat leur connaissance de terrain et leur ingénierie. Les acteurs sociaux et ceux de l’action économique, rémunérés par les collectivités (CCAS, départements, régions) seront ainsi parties prenantes de la réponse apportée par la puissance publique aux problèmes de territoire. J’y vois une utilité concrète par exemple dans le domaine des reconversions industrielles.
Dans le cas d’ALSTOM Belfort notamment, il est clair qu’entre le moment de l’abandon de la « taxe sur les « poids lourds », la perte d’investissement dans le ferroviaire qui en a résulté jusqu’aux carnets de commande de cette usine, il y a les conséquences d’un éclatement de l’action publique et de son manque d’agilité. L’absence d’anticipation qui en résulte est dramatique.
Au delà du sujet de la convergence des actions des acteurs publics que vous soulevez, ne doit on pas également réformer les mécanismes financiers qui orientent insuffisamment l’utilité des investissements ou découragent peu les « grands projets inutiles » …
Les collectivités réalisent aujourd’hui 70% de l’investissement civil en France. Il est commun de rappeler que les dépenses d’avenir sont portées par les dépenses d’investissement. Or, rien n’est moins sûr. De nombreuses dépenses d’investissement sont totalement improductives et consommatrices d’argent public.
C’est la part des collectivités dans l’investissement civil en France
Dans le même temps, quel que soit le caractère de la dépense d’investissement, elle permet à la collectivité de bénéficier du remboursement de la TVA par le Fonds national dédié, le FCTVA . Ma proposition consiste donc à discriminer les investissements des collectivités en créant un super taux de FCTVA (comme il a existé un super taux de TVA) pour les dépenses à haute portée environnementale. Les crédits nécessaires au financement de ce fonds seraient pris sur une réduction du taux de TVA normal pour les dépenses d’investissement commune. Il s’agit de donner un bonus à la « bonne dépense » plutôt que d’aider indistinctement tout investissement.
De la même manière, des objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables ou sanitaire (obésité, maladies cardio-vasculaires) doivent alimenter des péréquations d’investissements entre régions qui n’ont ni la même histoire économique, industrielle, ni la même sociologie.
La « meilleure dépense » est utile et fléchée sur des résultats à atteindre
L’action publique est aujourd’hui moins légitime parce que les citoyens rechignent à s’engager. Ils considèrent les élus comme des « professionnels de la politique » un peu déconnectés…
Si Tocqueville imaginait que les élections locales pouvaient vivifier la démocratie en rapprochant les peuples de leurs élus, il faut faire le constate que les citoyens fussent-ils locaux s’éloignent du débat démocratique. Cette situation est d’autant plus problématique que, comme le note Rosanvallon, nous continuons de privilégier une approche moniste de notre démocratie. Les élections seules sont considérées comme les moteurs de la démocratie. La culture « participative » a tenté d’amender notre système mais là encore, avec pas mal de défauts.
Par exemple, les instances de conseils (CESE) ou consultatives (conseils de quartiers) apportent des éclairages techniciens sur l’action des instances élues. Parfois, elles sont trop peu représentatives de la sociologie de la population. On l’a notamment constaté à l’occasion des consultations sur les rythmes scolaires : les populations qui s’expriment le plus fréquemment ne sont pas celles dont les enfants sont les plus en difficultés.
Je propose de réintégrer le citoyen au cœur de la démocratie locale.
A cette fin, l’idée de créer au sein de chaque strate de collectivité une commission citoyenne, constituée de citoyens – à l’image des jurés de Cour d’assise, tirés au sort et défrayés par l’Etat pour participer à la vie démocratique doit être expérimentée. Ces commissions, assorties d’un budget d’action pour recourir à un conseil par exemple, alimenteraient un débat fécond au niveau local. Leurs propositions devraient faire l’objet d’un examen approfondi et d’une délibération en assemblée locale plénière.
Comment cela marcherait concrètement…
Des séances exceptionnelles, organisées sous l’égide du préfet et de l’exécutif de la collectivité seraient un miroir de l’action locale un peu à l’image des prérogatives des Comités d’entreprises dans le cadre des « droits d’alerte » lorsqu’il existe une menace sur l’emploi. Ou que les élus syndicaux questionnent la stratégie de leur entreprise. Dans ce cadre, les « commissions citoyennes » se substitueraient à une kyrielle d’instances consultatives qui ajoutent un regard technicien sur l’action d’instance déjà marquées par le poids des endogamies. Le but est de rendre plus lisible l’action locale sans doublonner les instances élues. Il s’agit d’entretenir une tension féconde entre la démocratie directe et les instances représentatives.
Bref, fluidifier l’action par l’implication citoyenne mais comment réduire les effets pervers du « mille-feuille » administratif français…
Les dernières lois dites de « réforme territoriale » n’ont pas permis de délimiter une répartition des compétences optimales sur le territoire. La logique du rapport de force politique a prévalu sur une réflexion cohérente de l’action publique. Cela s’explique également par une logique de parcours des élus qui se replient sur le mille-feuille administratif. A défaut d’avoir un statut facilitant leur propre reconversion en cas de perte de leur mandat…
Un exemple…
Prenons le RSA (revenu de solidarité active). Il est parfois proposé de recentraliser le financement pour faire face aux difficultés financières des Départements. Je propose au contraire de le régionaliser. Il apparait en effet logique, dès lors que l’on conçoit le chômage comme en partie lié à la faiblesse de la politique de formation française de confier à la collectivité qui gère la formation et la politique économique le paiement du RSA. Il constitue l’ultime filet social avec son volet d’insertion, hélas trop souvent réduit à peau de chagrin faute de moyens.
De la même manière, il faut en finir avec l’éclatement des politiques d’insertion entre Départements et Régions pour rassembler au sein d’une Agence régionale intégrant également Pôle Emploi l’ensemble des ressources publiques. Cette politique passe par une régionalisation de services administratifs de pans entiers de l’Etat.
Parfois, des recentralisations seront nécessaires. Je propose que la loi permette au Préfet de reprendre la compétence urbanisme si la collectivité qui en a la charge ne respecte pas ses obligations légales, par exemple en matière de logements sociaux. Cette reprise de compétence serait financée par la collectivité. Il faut en finir avec le cycle « objectifs-autonomie-amendes » qui ne satisfait personne.
Cette démarche pragmatique, je la porte en exemple de ce qu’il faut faire au niveau européen. Parfois, il faut mutualiser des politiques, et dans certains cas la renationalisation de compétences peut être la solution. Il faut regarder au cas par cas.
Quelle doit être la ligne de conduite de ces réorganisations…
Je propose une clé de reclassement des compétences et des moyens simples. Nous devons procéder par empathie avec l’usager final. Qu’il soit entrepreneur, chômeur de longue durée ou en recherche de reconversion, le service public doit prévoir une continuité de sa réponse sans renvoyer courir chacun après « le bon guichet ».
Certains pays nordiques ont résolu leur « mille feuille » en posant au système public quelques objectifs lisibles dont la responsabilité relève d’Agences constituées par les transferts de ressources d’Etat et des collectivités. En un mot, nous devons briser l’équation française « fort prélèvements obligatoires-faibles performances sanitaires et sociales ».
C’est là la clé que se joue ni plus ni moins la survie de nos sociétés démocratiques.
Un entretien réalisé par Jean-Marc Pasquet et Bastien Sayen. Photographies : Nathalie Tiennot.